Pascali
Préhistoires de Pascali: “Africa”, in Pino Pascali. “Africa”, catalogo, Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris, 14 aprile – 23 giugno 2001
Au sujet des années où l’on parlait de la fin de la spécificité de l’art en raison de sa dilution dans le système définitif et totalisant de la communication, ainsi que de la contamination irrévocablc de l’imagerie individuelle par les statuts des médias, il est particulièrement intéressant de présenter le travail “professionnel” de Pino Pascali, étant donné son aspect atypique, et surtout le degré de conscience critique qu’il révèle.

Pascali, Africa, 1965
Pour être plus précis, nous parlons du travail développé entre 1958, lorsque son talent précoce, rappelons-le, débordait des salles de classe de l’Académie des Beaux Arts, où il obtiendra son diplôme l’année suivante, à 1964; ensuite, ce travail présente des développements moins intenses, mais non moins significatifs, après sa première exposition qui l’a consacré en tant qu’auteur en 1965. C’est un “vrai” travail de pionnier, à sa façon, aux côtés de son ami Sandro Lodolo, dans cette sorte de paradis pour enfants à l’imagination gourmande qu’était la télévisicm d’antan. Ce sont, surtout, des courts métrages publicitaires où les techniques d’animation occupent une part prépondérante.
Dans d’autres occasions, cette expérience a été reconstituée séparément, et c’est à elle qu’on se réfère pour la reconstitution des éléments historiques. À ce sujet, il faut plutôt suggérer un autre raisonnement fondé sur des éléments, jusqu’à présent inédits, liés à un travail publicitaire d’animations caractéristique de l’année 1965: le jeu des tâches de ce travail artistique “informel” alterne avec des images/symboles de la tradition primitive et ethnique, à la manière d’un zoo de rêve, où la technique du noir et blanc est perçue non comme une limitation, mais comme un savoir optique sophistiqué, faisant certaines références à l’exaspération expressive de l’art pop.
Norman MacLaren est, pour Pascali et pour beaucoup de jeunes de sa génération, une sorte de mythe à part, comparé aux santons de l’art, anciens et nouveaux, auxquels il nous semble nécessaire de faire allusion. Nous avons appris de lui la synthèse formelle, la réduction schématique, certes, mais chargée de l’impact des illustrations et, surtout, d’un rythmc, d’un temps interne à la perception qui créent une histoire en elle-même. L’exemple du génie canadien de l’animation est aussi pertinent pour Pascali, dans le contexte ascendant du pop, et plus encore peut-être pour les autres références que celles indiquées par les manuels d’art. Et puis, et ceci est encore plus pertinent, sa façon – comme celle de ses émules, nombreux dans l’art, et qu’il faudra bien un jour dénombrer – est une façon d’aborder avec une impropriété absolue le sujet trop souvent débattu de façon rhétorique de la haute et de la basse culture, en prélevant des signes de cette différence à travers le monde, et de cette manipulation créative et évidente du code artistique.
Pascali s’appuie sur un imaginaire débordant qu’il mène de façon introspective, avec une lucidité analytidue, qui sera occultée dans ses hagiographies, ainsi due dans d’autres aspects de son travail, et qui passe plutôt par une manière de concentrer ses idées, voire de les dépayser, eu égard à celles qui sont purement iconographiques et matérielles.
Pour lui, d’emblée ce qui compte c’est une sorte de démesure délicatement mythique où toutes les choses du monde peuvent être assumées: une démesure qui est formulée et qui s’accroît dans le cadre d’un processus non ordonné, intuitif, fantastique, où les choses deviennent un simulacre d’ellesmêmes, tout en conservant la structure du code artistique, en se chargeant néanmoins d’un ensemble de valences totalement différentes.
Ce qui est important, c’est la composante du jeu dans la manière d’agir de Pascali, laquelle, d’ailleurs, a été plusieurs fois mise en évidence. Mais à condition, certes, de préciser qu’il ne s’agit pas du jeu qui se revendique du courant dada-surréaliste, auto-anobli par le contact avec les règles et les découvertes enthousiastes de Duchamp à la fin des années cinquante et au début des années soixante. Rien d’intellectuel ni même de semblable ne se manifeste en lui. C’est plutôt la capacité extraordinaire de stupéfaction, une sorte d’affabulation du démontage-remontage des matériaux et des formes, dans lesquelles l’intention et la volonté critique – par exemple, celle qui rend déterminant le déplacement et l’écart fonctionnel de “l’art pauvre” et de son environnement – comptent assez peu, alors que compte beaucoup la capacité qui était habituellement indiquée comme l’intelligence de l’effet: à son tour, celle-là devient aussi légère, d’une gaieté précise et brillante. Travailler sur des passages narratifs condensés et accomplis, en pouvant être l’arbitre de la scène et de ses protagonistes; décider du degré de certitude de ces décors étranges et égarés, parfaitement indicatifs – plus qu’allusifs – dans leur fervente dérive du ressenti ordinaire; construire vraiment un autre monde, dans lequel se meuvent des formes animales, des mots fragmentés et fantastiques, au même degré, séquence sur séquence, dans une clause spatiale désarticulée mais puissante, c’est cette sorte de laboratoire que beaucoup auraient voulu (et que beaucoup d’autres, je le dis avec une certaine malice, auraient dû) posséder! Que de choses Pascali transmet dans son travail! De ce point de vue, ce n’était pas, heureusement pour lui, un travail imprégné d’idées intellectuelles, avec trop de conceptualismes de la néo-avant-garde contemporaine: en fait, beaucoup de ses contemporains ont toujours montré dans le temps, une sorte de respect irritant face à son image, qu’il faut considérer comme fondamentale, mais dont ils se seraient bien passés… Bien qu’expérimental, il s’agit d’un travail très riche d’un point de vue technique. Je mentionne des citations presque textuelles qu’on trouve dans le Colosseo ou Biancavela, les Armi, et aussi – bien qu’avec une intercession plus subtile – dans les sculptures blanches, ainsi que le Ponte, la Liane, et l’Arco di Ulisse.
Je crois avant tout que cette valeur de simplification formelle de la limite entre le parodique et le paradoxe fait échec à la perception directe mondaine, à la sujétion des médias, en sachant que celle-ci ne sera ni accueillie ni rachetée, tandis que le pop dans son ensemble est préoccupé et sent l’hétéronomie. Puis, la valeur d’une narration contractée, réduite à des passages essentiels d’une forte capacité spatiale, selon une clause scénique qui joue à cache-cache avec les évidences, plutôt que de les remplir de façon sensorielle, jusqu’au débordement à travers une autre voie, une dérogation que personne ne peut avoir, dans le sens de la communication, en faisant confiance aux fréquences pures de la fable, d’une rêverie lucide et désenchantée d’elle-méme: il n’y a rien sur le nuovo racconto (la nouvelle narration); rien non plus sur l’identification cynique ou la critique de l’image mondaine de l’art pop: ce ne sont que des images génétiquement autres, puisque dépaysées du monde réel et portées dans un autre monde, pour retrouver une vraie valeur. Enfin, et c’est peut-être le point d’où le tout dérive, la capacité de fantaisie, une fantaisie sèche, légère, limpide, que seulement le Melotti de la maturité, en ces années-là, a eu le courage de montrer avec une joie merveilleuse.A y repenser, la vraie révolution était surtout cette dernière.