Watelet, Grace
Watelet, Grace, in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 7, 1757
Grace, (Beaux arts.) Le mot grace est d’un usage très-fréquent dans les arts. Il semble cependant qu’on a toûjours attribué au sens qu’il emporte avec lui quelque chose d’indécis, de mystérieux, & que par une convention générale on s’est contenté de sentir à-peu-près ce qu’il veut dire sans l’expliquer. Seroit-il vrai que la grace qui a tant de pouvoir sur nous, naquît d’un principe inexplicable? & peut-on penser que pour l’imiter dans les ouvrages des arts, il suffise d’un sentiment aveugle, & d’une certaine disposition qu’on ne peut comprendre? non sans doute.
Je crois, pour me renfermer dans ce qui regarde l’art de peinture, que la grace des figures imitées comme celle des corps vivans, consiste principalement dans la parfaite structure des membres, dans leur exacte proportion, & dans la justesse de leurs emmanchemens.
C’est dans les mouvemens & les attitudes d’un homme ou d’une femme qu’on distingue sur-tout cette grace qui charme les yeux. Or si les membres ont la mesure qu’ils doivent avoir relativement à leur usage, si rien ne nuit à leur développement, si enfin les charnieres & les jointures sont tellement parfaites, que la volonté de se mouvoir ne trouve aucun obstacle, & que les mouvemens doux & lians se fassent successivement dans l’ordre le plus précis: c’est alors que l’idée que nous exprimons par le mot grace sera excitée. Et qu’on n’avance pas comme une objection raisonnable, qu’une figure sans être telle que je viens de la décrire, peut avoir une certaine grace particuliere; qu’on ne dise pas qu’il y a des défauts auxquels certaines graces sont attachées.
Il seroit impossible, à ce que je crois, de prouver que cela doit être ainsi; & lorsqu’on essayeroit d’établir l’opinion que j’attaque, on démêleroit sans doute dans l’examen des faits, des circonstances étrangeres, des goûts particuliers, des usages établis, des habitudes qui tiennent aux moeurs, enfin des préjugés sur lesquels on fonde le sentiment que j’attaque. Rien ne me paroît devoir contribuer davantage à la corruption des Arts & des Lettres, que d’établir qu’il y a des moyens de plaire & de réussir, indépendans des grands principes que la raison & la nature ont établis. On a peut-être aussi grand tort de séparer, comme on le fait aujourd’hui, l’idée de la beauté de celle des graces, que de trop distinguer dans les Lettres un bon ouvrage d’avec un ouvrage de goût. Un peintre en peignant une figure de femme, croit lui avoir donné la grace qui lui convient, en la rendant plus longue d’une tête qu’elle ne doit l’être, c’est-à-dire en donnant neuf fois la longueur de la tête à sa figure, au lieu de huit. Seroit-il possible qu’on arrivât par un secret si facile, à cet effet si puissant, à cette grace qu’on rencontre si rarement? non sans doute.
Mais il est plus aisé de prendre ce moyen, que d’observer parfaitement la construction intérieure des membres, la juste position & le jeu des muscles, le mouvement des jointures, & le balancement des corps. Il arrive quelquefois cependant que l’artiste dont j’ai parlé, fait une illusion passagere: mais il ne doit ce succès qu’à un examen aussi peu reflechi & aussi aveugle que son travail. C’est ainsi qu’un ouvrage dont le plan n’est pas rempli, ou qui en manque, dans lequel la raison est souvent blessée, où la langue n’est pas respectée, usurpe quelquefois le nom d’ouvrage de goût. Je laisse à juger s’il peut y avoir un goût véritable qui n’exige pas la plus juste combinaison de l’esprit & de la raison: peut-il aussi y avoir de véritable grace qui n’ait pour principe la perfection des corps relative aux usages auxquels ils sont destinés?