Watelet, Galerie
Claude-Henri Watelet, Galerie, in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 7, 1757
Galerie, terme d’Architecture que la Peinture a emprunté pour exprimer une suite de compositions dont les galeries sont quelquefois ornées: c’est dans ce sens que l’on appelle les tableaux dans lesquels Rubens a représenté l’histoire de Marie de Médicis, la galerie de Rubens ou la galerie du Luxembourg.
Si quelque chose peut rendre sensible les ressemblances si bien établies entre la Poésie & la Peinture, c’est sans doute les rapports qu’ont entre eux les différens genres de productions de ces deux Arts. Je dirai au mot Genre, les ressemblances principales qu’on peut admettre dans les ouvrages de Peinture & dans ceux de Poésie; je vais en emprunter un seul trait, qui me paroît convenir particulierement à l’article Galerie.

Rubens, L’Apothéose de Henri IV et la proclamation de la régence de Marie de Médicis, le 14 mai 1610
Les compositions dont la Poésie se fait plus d’honneur, sont les poëmes composés de plusieurs parties qui susceptibles d’une beauté particuliere, exigent que cette beauté ait une juste convenance avec l’ouvrage entier, & une liaison combinée avec les parties qui précedent ou qui suivent. Dans la Peinture, un seul tableau, quelque grand qu’en soit le sujet, ne semble pas répondre parfaitement à cette idée: mais un assemblage de tableaux qui indépendamment des convenances particulieres auxquelles ils sont astreints, auroient entre eux des rapports d’action & d’intérêt qui les lieroient les uns aux autres, seroit une image sensible des poëmes dont je viens de parler. Une galerie décorée par un célebre artiste, dans laquelle les momens différens d’une histoire sont partagés avec l’intelligence nécessaire pour les rendre dépendans les uns des autres, est à la Peinture ce qu’est à la Poésie un poëme excellent, où tout marche & se suit. Despréaux, ce législateur des Poëtes, ajoûte qu’une composition de cette espece, N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit; Il veut du tems, des soins . . . Il veut plus que tout cela, un véritable génie.
Quelle machine, en effet, à concevoir, à disposer, à créer, à animer enfin! C’est à des ouvrages de cette espece qu’on reconnoît le caractere de divinité par lequel ce qu’on appelle génie a mérité dans tous les âges & méritera toûjours l’hommage des hommes. Il est un point de perfection où les Arts sont tellement au-dessus du méchanisme qui leur est propre, que leurs productions ne paroissent plus être que du ressort de l’ame. Mais pour revenir à l’art de la Peinture, je crois que les ouvrages de l’espece de ceux qu’on nomme galerie, ainsi que les plafonds, sont les moyens les plus propres à entretenir & à étendre ses progrés. A la vérité, les occasions d’entreprendre ces poëmes pittoresques sont encore rares; mais il ne faut, pour les rendre plus communs, qu’un simple desir du souverain, & quelques exemples. Les arts plus goûtés & plus connus, ont déjà fait naître une espece de luxe qui est prêt à l’emporter sur l’étalage de ces superfluités qui n’ont d’autre merite que de venir de fort loin. Il arrivera peut-être que non-seulement des princes, mais des particuliers, pour satisfaire leurs penchans tolérés pour la somptuosité, donneront à des artistes distingués l’occasion d’entreprendre des poëmes pittoresques de différens genres, dans lesquels le génie de la Peinture prenant un libre essor, étendra les limites de l’art, & les portera aussi loin qu’il pourra lui-même s’élever. Eh, pourquoi dirigeant à un but honnête & même utile, ces effets de la prodigalité, ne consacreroit-on pas ces compositions à la loüange & à l’encouragement des vertus? Si les descendans de ces maisons illustres auxquelles leurs chefs ont transmis une juste gloire, peuvent faire représenter dans les galeries de leurs palais les actions de ceux de leurs ayeux dont ils tiennent une distinction plus flatteuse que celle qui ne provient que d’une date éloignée, les particuliers moins illustres, en faisant retracer dans leurs maisons des actions moins éclatantes, pourroient rappeller les traits non moins honorables de la vie de leurs peres, de leurs amis, ou de leurs bienfaiteurs. Serions-nous moins sensibles à voir en action la générosité, la justice, l’attendrissement vertueux, que la majesté, la gloire, la vengeance, & ces inscriptions simples qu’on liroit au bas d’un tableau? le ressentiment étouffé ou l’amitié éprouvée, ne parleroient-elles pas autant au coeur & à l’esprit dans leur genre, que celles dans lesquelles on annonce des ennemis vaincus & des places assiégées?
Il seroit donc très-possible de lier ensemble les compositions des tableaux qui orneroient un simple cabinet, comme on voit unis & dépendans les uns des autres, ceux qui décorent les galeries des rois; & des évenemens particuliers intéressans ou agréables, produiroient un plaisir vif à ceux qui connoîtroient particulierement ceux qui en seroient les acteurs, & un intérêt assez grand aux personnes indifférentes, à l’aide d’une courte inscription.
Il seroit aisé d’appuyer cette idée de raisonnemens & de preuves; mais les raisonnemens & les preuves influent peu sur des usages que souvent le simple hasard introduit dans un tems; tandis que dans un autre, des volumes de dissertations ne pourroient les faire adopter.
L’usage des galeries est encore d’y rassembler des tableaux de différens artistes anciens & modernes. Ces collections, loüables en elles-mêmes parce qu’elles contribuent à la conservation des chefs-d’oeuvre des Arts, demanderoient sans doute une intelligence quelquefois rare dans ceux qui les forment, pour que chaque composition fût dans la place la plus favorable aux beautés qui font son mérite. Il en est des tableaux comme des hommes; ils se font valoir ou se détruisent par les diverses oppositions de leurs caracteres. Un coloriste rigoureux est un voisin redoutable pour un dessinateur fin & correct, qui n’a pas assez entendu la magie de la couleur. Un homme dont l’esprit est plein d’images & la conversation brillante, n’obscurcit-il pas celui dont la raison moins colorée, pour ainsi dire, se montre sous des formes justes, mais avec moins d’éclat?